
Je
suis la Terre et l'Eau, tu ne me passeras pas à gué,
Mon
ami, mon ami
Je
suis le puits et la soif, tu ne me traverseras pas sans péril,
Mon
ami, mon ami
Midi
est fait pour crever sur la mer, soleil étale, parole fondue,
Tu
étais si clair, mon ami, mon ami
Tu
ne me quitteras pas essuyant l'ombre sur ta face
Comme
un vent fugace, mon ami, mon ami
Le
malheur et l' espérance sous mon toit brûlant, durement noués,
Apprends
ces vieilles noces étranges, mon ami
Tu
fuis les présages et presses le chiffre pur à même
tes mains ouvertes,
Mon
ami, mon ami
Tu
parles à haute et intelligible voix, je ne sais quel écho
sourd
Traîne
derrière toi, entends, entends mes veines noires
Qui
chantent dans la nuit, mon ami, mon ami
Je
suis sans nom, ni visage certain ;lieu d'accueil et chambre d'ombre,
Piste
de songe et lieu d'origine, mon ami, mon ami
Ah
quelle saison d'âcres feuilles rousses m'a donnée Dieu
Pour
t'y coucher, mon ami, mon ami
Un
grand cheval noir court sur les grèves, j'entends son pas sous
la terre,
Son
sabot frappe la source de mon sang à la fine jointure de la mort
Ah
quel automne! Qui donc m'a prise parmi des cheminements
De
fougères souterraines, confondues à l'odeur de bois mouillé,
Mon
ami, mon ami
Parmi
les ages brouillés, naissances et morts, toutes mémoires,
Couleurs
rompues, reçois le coucher obscur de la terre,
Toute
la nuit entre tes mains, livrée et donnée,
Mon
ami, mon ami

Il
a suffit d'un seul matin pour que mon visage fleurisse,
Reconnais
ta grande ténèbre visitée, tout le mystère
lié
Entre
tes mains claires, mon amour.
Anne
Hébert ( Québec- née en 1916)
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